samedi 21 avril 2018

Gatsby le magnifique


F. Scott Fitzgerald - Gatsby le magnifique - Folio







Dans les années 20, le jeune Nick Carraway loue une maison à Long Island. Issu d’une famille aisée du Middle West il entreprend une carrière de courtier à New York et cherche un point de chute loin des chaleurs estivales de la Grosse Pomme. On ne saurait mieux tomber. Tout au long de la baie de Manhasset se succèdent de riches villas habitées par des dynasties patriciennes ou par la nouvelle classe dominante. La modeste demeure de Carraway jouxte la gentilhommière impressionnante de Jay Gatsby, un milliardaire assez mystérieux au train de vie ostentatoire, conviant régulièrement le gratin new-yorkais à des fêtes somptueuses.


Le jeune homme reçoit sans discontinuer des cartons d’invitation. Son hôte lui donne la clef de cet intérêt soudain : Nick Carraway est le cousin de Daisy, une femme que Gatsby a aimé voici cinq ans et désire encore passionnément. Entre temps elle a épousé Tom Buchanan héritier d’un puissant clan originaire de Chicago. Le couple réside aussi à Long Island, de l’autre côté de la rive. Nouveau riche contre fortune solidement établie, le ton est donné.


Que reste t’il de ce roman rédigé aux âges du Charleston, mettant aux prises des personnages vivant dans un monde irréel, et parsemé de phrases toutes aussi irréelles ? « […] j’ai peu après participé à cette migration teutonne tardive connue sous le nom de Grande Guerre. J’ai pris un si vif plaisir à la contre-attaque qu’à mon retour je ne pouvais plus rester tranquille. » L’offensive du Chemin des Dames n’avait pourtant rien d’une partie de polo …


Nonobstant ces agacements, subsistent le récit d’une histoire d’amour tragique et surtout une écriture d’une élégance souveraine qui, magnifiée par la traduction de Philippe Jaworsky, devrait satisfaire les gardiens du temple.

« - … un soir d’automne, cinq ans plus tôt, ils marchaient dans la rue à l’époque où les feuilles tombent, et ils arrivèrent à un endroit où il n’y avait pas d’arbres et où le clair de lune blanchissait le trottoir. Ils s’arrêtèrent et se tournèrent l’un vers l’autre. La soirée était fraîche, traversée de cette mystérieuse fébrilité qui vient aux équinoxes deus fois par an. Les lumières paisibles des maisons se répandaient dans l’ombre avec un bourdonnement, et il y avait parmi les étoiles tout un remue-ménage. Du coin de l’œil, Gatsby vit que les blocs de pierre des trottoirs formaient en réalité une échelle, qui s’élevait jusqu’à un endroit secret au-dessus des arbres. Il pourrait y monter, s’il montait seul, et une fois là haut sucer le sein de la vie, avaler à pleine gorge le lait incomparable de l’enchantement.
Son cœur battait de plus en plus vite à mesure que le blanc visage de Daisy se rapprochait du sien. Il savait que lorsqu’il aurait embrassé cette jeune fille et uni pour toujours à cette haleine périssable ses visions à lui, ses indicibles visions,  son esprit cesserait de s’ébattre comme l’esprit de Dieu. Aussi attendit-il, écoutant un moment encore vibrer le diapason dont on venait de frapper une étoile. Puis il l’embrassa. Au contact de ses lèvres, elle s’épanouit comme une fleur, et l’incarnation fut accomplie.
Il y avait dans ce qu’il disait et même dans son épouvantable sentimentalité, un-je-ne-sais- quoi  qui provoquait chez moi une vague réminiscence – un rythme insaisissable, un fragment de paroles perdues que j’avais entendues bien des années plus tôt.. Pendant un instant une phrase essaya de se former dans ma bouche et mes lèvres s’entrouvrirent comme celles d’un muet. On aurait dit que sur elles cherchait à s’exprimer une force, bien plus qu’un souffle de surprise ; mais aucun son ne s’en échappa, et ce qui avait été tout près de me revenir en mémoire est demeuré incommunicable à jamais. »

En témoigne ce fragment, Gatsby est un personnage idéaliste, entre ciel et terre. A l’opposé, la brute Buchanan et la frivole Daisy forment un couple sans scrupule écartant tout ce qui pourrait menacer leur mode de vie. Gatsby c’est aussi Fitzgerald à la poursuite de la reconnaissance littéraire alors même que son existence bascule dans la tragédie.  Ainsi demeure ce roman scintillant de mots impérissables.

« Et comme je demeurais à sans bouger, méditant sur ce vieux monde inconnu, je songeai à ce que fut l’émerveillement de Gatsby lorsqu’il aperçut la lumière verte à l’extrémité de la jetée de Daisy. Il avait fait un long chemin jusqu’ à cette pelouse bleue, et son rêve avait du lui sembler si proche qu’il ne pouvait manquer de l’empoigner. Il ne savait pas que le rêve était déjà derrière lui, quelque part dans la vaste obscurité de la ville, où les champs noirs de la république s’étendaient toujours plus loin dans la nuit.
Gatsby croyait en la lumière verte, en l’avenir orgastique, qui d’année en année, recule devant nous. Il nous a échappé cette fois ? Peu importe … Demain nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus loin… Et un beau matin …
C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé. »

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Il serait interessant de cerner un peu plus la personnalité de Nick.
Jaloux de l'interet que porte Gatsby à Daisy?

Soleil vert a dit…

Nick est en effet le personnage le plus difficile à saisir.

Barbara a dit…

Comme beaucoup d'américains actuels, certains ont fait fortune mystérieusement..

Anonyme a dit…

Relu avec plaisir
On ne passe pas du Royaume des ténèbres au Paradis,et Daisy est la premiere à renvoyer Gatsby à ses origines,comme quoi la beauté féminine est..une promesse ambigue.

Soleil vert a dit…

Dans son journal Pavese dit quelque chose de similaire sur la fragilité que les femmes révèlent en nous.

Anonyme a dit…

Exact!De beaux aphorismes sur les femmes,mais quand même une grande solitude existentielle dans ce journal.