lundi 12 mai 2014

Villes étranges (3)

Kenneth Bernard – Extraits des archives du district – Le Tripode






Réédité en France en 2014 aux éditions Le Tripode, le roman de Kenneth Bernard Extraits des archives du district poursuit une carrière discrète mais soutenue par un bouche à oreille de libraires et de lecteurs exigeants. Difficile effectivement, en accord avec de nombreux commentaires, de ne pas évoquer les figures tutélaires de Georges Orwell ou Terry Gilliam à la lecture de ce court récit.

Il partage avec 1984 et Brazil, mais Epépé (1) est sur la même trajectoire, le dessein de relater l’odyssée d’individus progressivement déportés vers des horizons d’inhumanité croissante, broyés par des mécanismes sociaux tout puissants ou incompréhensibles.

La Taupe, ainsi qu’on le surnomme, affronte dans un univers urbain misérable, un quotidien pénible. Que ce soit pour se rendre dans un bureau de poste, ou une banque, ou acheter des victuailles, chacun de ses actes devient une entreprise d’une incroyable difficulté et s’effectue aux moyens de rituels et dans un esprit de défiance dignes d’un autiste doublé d’un paranoïaque. Son immeuble est le théâtre d'événements surréalistes. Des voisins disparaissent, un individu agresse les locataires sans raison … On comprend progressivement que le personnage adopte une position mentale défensive et qu’une chape de plomb s’est abattue sur sa cité. Une organisation sociale orwellienne enferme les habitants dans un tissu de surveillance et de délation : la nécessité d’appartenir à un club dit d’enterrement pour les quinquagénaires, qui sous couvert de régler le détails des cérémonies funèbres fixe en fait le quotidien de ses membres, la présence permanente d’un binôme, la rédaction obligatoire de comptes-rendus, tout concourt à transformer les individus en suicidés de la société, pour reprendre l’expression d’Antonin Arthaud.

Pourtant La Taupe ne reste pas tout à fait sans réaction. Dans son journal la fiction prend le pas sur les faits. Elle marque le début d’une résistance vis-à-vis du Système. On pourrait d’ailleurs établir un parallèle avec Le scribe de Melville.
La force du récit tient à l’invisibilité des oppresseurs et au maintien d’une ambiguïté jusqu’au terme du roman. La progression de l’intrigue s’effectue paradoxalement par une succession discontinue de chapitres relatant des anecdotes ou des souvenirs. Des textes purement descriptifs comme « Supermarché », alternent avec d’autres, humoristiques tel « En attendant Madame Slotnik » ou émouvants (« Kermesse », magnifique, et « Jiri »).

Tableau noir de la condition humaine, qui n’exclut pas des moments de rires et d’émotions, Extraits des archives du district va certainement se frayer une place dans votre bibliothèque.





Notes

(1) Epépé
La critique de Manu
Une réminiscence personnelle des artistes de rue de « Kermesse » :

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On reconnait tout de suite la patte de MAM pour la couverture. Ca me donne encore plus envie de lire ça :)

Emmanuel a dit…

Effectivement, le bouquin a l'air de faire son petit bonhomme de chemin, j'ai été étonné de constater qu'un exemplaire flambant neuf (nouvelle édition visiblement) était arrivé dans la toute petite librairie de mon quartier. Bon pas si étonné que ça parce que les deux libraires y font un boulot fantastique, mais quatre ans après sa sortie chez Attila, il n'a pas sombré dans les limbes sans fond des bouquins partis au pilon. Ce qui serait dommage au vu des qualités de ce roman.

Soleil vert a dit…

En ce moment 1 livre sur 2 me tombe des mains (cf ADA plus haut).Donc quand c'est bon et pas cher, pourquoi s'en priver ?