jeudi 8 août 2013

Histoires secrètes de Sherlock Holmes

René Reouven - Histoires secrètes de Sherlock Holmes – Folio SF


Il est d’usage, en période estivale, de déterrer les pavés sous la plage. Allusion bien entendu à un vieux slogan de Mai 68 (1). Allusion aussi aux lectures d’antan. Les aventures de Sherlock Holmes réinventées par René Reouven et compilées ici en un gros volume de 1100 pages participent à la nostalgie des premiers ouvrages dévorés dans les trains d’été, donnant l’illusion de sauter dans les vapeurs si souvent empruntés par Holmes et Watson.

René Reouven, ainsi que le rappelle Jacques Baudou dans sa docte préface, fit ses premières armes dans le Crime Club lequel compta dans ses membres le tandem Boileau-Narcejac ainsi que Sébastien Japrisot. Les pastiches holmésiens constituent une partie notable de son œuvre. Il n’est pas le seul dans cet exercice. On se souvient par exemple de La vie privée de Sherlock Holmes dont Billy Wilder tira un film en 1975,  de Sherlock Homes attaque l’Orient-Express tiré du roman de Nicholas Meyer La solution à 7%. Mais la parution de Élémentaire mon cher Holmes en 1982 donne le ton. Au lieu de confronter le célèbre détective à des personnages historiques, comme il est d’usage chez ses confrères, Reouven se livre à des acrobaties narratives. Les protagonistes des récits composant Élémentaire mon cher Holmes ne sont pas Holmes et Watson mais des personnages réèls ayant inspiré leur création. Ailleurs, dans Les passe-temps de Sherlock Holmes, l’homme à la pipe se transforme en un redoutable critique littéraire. Les souffrances du jeune Werther sont ainsi analysées non comme le récit d’un suicide mais d’une tentative de meurtre contre Goethe par l’individu ayant inspiré le personnage d’Albert. Une phrase d’Oscar Wilde plusieurs fois répétée dans Histoires secrètes de Sherlock Holmes résume les procédés littéraires utilisés par René Reouven : l’art invente, la nature copie. Cela nous vaut ici quelques histoires de crime par littérature interposée. Les récits servis par une langue classique parfaitement maîtrisée donnent le tourbillon au lecteur : casse des codes narratifs, enchevêtrements savants d’auteurs, de personnages ou d’événements réels et fictifs, l’oeuvre de l’écrivain natif de Alger, est un véritable réservoir à thèse narratologique.

Basil Rathbone, inoubliable Sherlock Holmes, mais flanqué d'un Watson pitoyable.
L’ouvrage est structuré en deux parties. La première comprend une série de romans et nouvelles dont la trame suggérée de façon très allusive par Conan Doyle dans ses histoires n’a pas fait l’objet de développements narratifs ultérieurs. Dans la seconde partie René Reouven laisse libre cours à son imagination de créateur.
Les figures imposées et les figures libres en quelque sorte.
L’assassin du boulevard, un court roman, fait suite à l’affrontement final et dramatique entre Holmes et Moriarty raconté par Doyle dans Le dernier problème. Holmes n’est pas mort. Il coule des jours heureux en France en toute incognito - sans Watson -, mais une cousine le remet au travail. Le frère de son soupirant, un certain Théodule a disparu. Il fréquentait les milieux anarchistes dans un Paris secoué par des attentats. Holmes qui soupçonne un des lieutenants de Moriarty d’être à l’origine de cette agitation, remonte dans la capitale. Ses investigations le conduisent à l’administration des Dons et Legs, dans un univers précisément décrit par Georges Courteline dans Les ronds de cuir. Une hybridation littéraire typique de Reouven et parfaitement cohérente.
Les recueils suivants (Le bestiaire…, Les passe-temps …) assemblent de courts récits. Dans l’un d’entre eux, spectaculaire, Sherlock Holmes affronte une sangsue géante conçue par un médecin complice de Baskerville que l’on retrouvera sous un autre patronyme dans un roman célèbre de Wells...
Deux romans composent la dernière partie. Le premier déjà cité, Élémentaire mon cher Holmes, retrace l’itinéraire de plusieurs criminels, dont un certain Jack L’éventreur, qui ont eu en leur possession le premier jet jamais publié de Dr Jekill et M Hyde de Robert Louis Stevenson. Ce manuscrit aussi démoniaque que le Necronomicon de Lovecraft inspire à leur lecteur des pulsions meurtrières.
Ni Holmes ni Watson ne sont présents dans ce récit. Un certain Wood, militaire à la retraite, mène l’enquête et rend compte à Conan Doyle, devenu personnage. Élémentaire mon cher Holmes est certainement le roman le plus brillant de Reouven.
Enfin dans Le détective volé, nos deux compères retrouvés reprennent les enquêtes imaginées par Edgar Poe dans « La lettre volée » et « Le Mystère de Marie Roget »

Conçus comme des romans et récits populaires les Histoires secrètes de Sherlock Holmes s’apparentent à des exercices de virtuosité littéraire servis par une plume sans faiblesse.




(1)    mais également au beau blog de Ubik auquel il faut associer celui de K2R2, deux gâchettes d’ exception du défunt site du Cafard Cosmique

4 commentaires:

A.C. de Haenne a dit…

C'est une réédition d'une intégrale parue dans l'excellente collection "Lunes d'encre", c'est ça ? C'est marrant parce que je viens tout juste de recevoir "Crimes apocryphes 2", du même René Réouven.

A.C.

Anonyme a dit…

oui c'est ça
SV

Sandrine a dit…

Je n'apprécie pas et ne connais pas assez Sherlock Holmes pour lire ce genre de pastiches. Je lui préfère largement Harry Dickson. Quoique la sangsue géante, c'est assez tentant...

Anonyme a dit…

Salut Sandrine, je t'ai envoyé un mail.
A +
SV