samedi 24 décembre 2016

Un chant de pierre



Iain Banks - Un chant de pierre - l’œil d’or









Venant en post-scriptum de mes lectures 2016 Un chant de pierre de Iain Banks appartient à cette catégorie de roman hors genre où l’auteur du cycle de la Culture se livrait à des expérimentations littéraires à l’image de Efroyabl ange1.

S’il se révèle plus abordable que celui-ci, notamment dans ses inventions langagières, Un chant de pierre met la barre stylistique à un haut niveau. Ce récit de guerre qualifié opportunément de conte cruel, raconte la déchéance et la fin tragique d’un couple d’aristocrates. Alors qu’ils suivent une colonne de réfugiés fuyant la zone des conflits dans une contrée et à une époque inconnues, une soldatesque réquisitionne leur chariot, et les oblige à faire demi-tour vers le château familial qu’ils s’étaient pourtant résolus à abandonner. La bande armée toute heureuse d’y trouver gîte et couvert s’y livre progressivement à des exactions.

Manoirs et châteaux sont le refuge littéraire des crimes et des fantasmes. L‘ouvrage de Iain Banks n’ y fait pas exception et referme son propos sur une narration conduite par le châtelain. Evénements tragiques, réminiscences, souvenirs se déploient dans un même champ contemplatif, une même intériorité. L’écriture est comme détachée. Il y a bien quelques scènes d’actions mais comme voilées par cette sorte d’anesthésie de la conscience, qui dit t’on frappe les témoins de scènes de guerre. Un autre personnage en contrepoint du narrateur tire profit de ce huis clos Le chef de la bande, une femme, prend plaisir à s’intercaler au milieu du couple et y impose un jeu de séduction et d’humiliation.

De fait un chant de pierre n’est pas un roman de l’attente comme Le rivage des Syrtes ou Le désert des tartares, suggérés par l’éditeur, dans le quatrième de couverture mais plutôt le lieu des supplices. On y respire l’odeur des fougères et des forêts, le sang se mêle à la glaise et au limon. Aurore écarlate, séquences de cruautés semblent participer d’un même ordre cosmique.

Le projet initial de Iain Banks consistait dit t’on à élaborer un poème narratif. On le croira bien volontiers à la lecture de ces lignes ; « La voilà la demeure battante, entreprise close, recroquevillée sur un vide intime et bien gardé […] » qui renvoient à un texte d’Yves Bonnefoy (1) :

« Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l'éclair qui t'a porté.

Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n'aura de pitié.

Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j'aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon coeur ce pays qu'illumine l'orage »

L’ouvrage serti de onze gravures, mérite une place de choix dans toute bibliothèque qui se respecte. 


(1) Du mouvement et de l'immobilité de Douve

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