dimanche 10 septembre 2017

24 vues du Mont Fuji par Hokusai (fiction et peinture 5)


Roger Zelazny - 24 vues du Mont Fuji par Hokusai - Le Bélial’ - Une Heure Lumière








Commençons par le bandeau rouge du Hugo 1986. Je me souviens que jadis certains esprits sans doute bien informés tentaient d’expliquer la liste impressionnante d’ouvrages primés de Roger Zelazny par l’existence de coteries. Si coterie il y eut, ce fut sans doute une confrérie de gens intelligents et cultivés et non de Puppies. Ces 24 vues appartiennent en effet à une catégorie de fiction qui au delà de l’intrigue interroge la littérature à l’instar de Don Quichotte. On ne trouve plus guère aujourd’hui que Christopher Priest ou Jasper Fforde pour jouer ainsi sur les codes narratifs. Or, on le verra, les 24 vues du Mont Fuji par Hokusai dans l’édition du Bélial’ proposent ni plus ni moins une expérience multimédia.


Le pitch n'est pas des plus simples. L’éditeur prend soin à ce sujet de citer Georges Martin qui qualifiait l’auteur des Neuf Princes d’Ambre de poète. Vous voilà prévenus. Bref, Mari vient de perdre son époux. Un deuil compliqué d’ailleurs puisque Kit a opté pour un mode d’existence digitale. Munie de vingt quatre estampes, elle entreprend un pèlerinage sur les traces du célèbre peintre Hokusai afin de débusquer un ennemi, peut-être le responsable de la disparition. Les étapes ou stations fournissent le support d’une réflexion renforcée par la confrontation entre les images et la réalité des paysages, ou de cadre à des combats contre des artefacts électriques.


24 vues du Mont Fuji par Hokusai se lit d’abord comme un jeu de piste, une histoire guidée par des images. C'est aussi une course entre l’écriture et la mort, un thème récurrent dans l’oeuvre de Zelazny. Il ne s’agit pas de fuir dans la représentation pour échapper au réel,- c’était l’idée de Yourcenar dans « Comment Wang-Fô fut sauvé » - mais de combattre « l’ennemi intime ». L’art ne se substitue pas à la réalité mais la tient à distance en lui apportant une signification, et en offrant une forme de salut. Mari récuse d’ailleurs toute forme d ’abandon de l’esprit, y compris le nirvana digital, une réponse peut être à Neuromancien paru un an plus tôt.


Chaque chapitre suscite une méditation et suggère une leçon. « Le mont Fuji depuis Hodiyaga » et ses pèlerins semblables aux pins tordus du second plan métaphorise évidemment l’idée que la vie est un voyage mais renvoie l’héroïne aux souvenirs des pins de l’Oregon, ainsi qu’aux contes de Canterbury dont s’inspira plus tard un certain Dan Simmons pour rédiger Hyperion. Le pêcheur au dessus de la vague du chapitre 6 fait surgir Le vieil homme et la mer. Plus étonnant la mer à marée basse et les pêcheurs de l’estampe intitulée « Le mont Fuji depuis Naborito » deviennent acteurs du drame de la cité engloutie R’lyeh, lieu de repos d’un certain Cthulhu.


On ne détaillera pas le contenu des autres chapitres. Mais quelque chose survient. Très vite le lecteur se précipite sur son PC ou son smartphone et effectue des allers retours entre le livre et les images. La lecture devient jeu de piste, confrontation entre texte et décor. Regardez bien le tonneau du chapitre initial, on dirait une porte d’entrée … C’est ainsi que j’ai eu l’impression de basculer tour à tour dans Quin (vénérable jeu vidéo de 1988) ou le blog de Lionel Dersot et ses balades photographiques dans le région de Tokyo. Une expérience multimédia. Incroyable non ?

(Texte corrigé le 08/07/2020)

1 commentaire:

Anonyme a dit…


Brillante chronique .En effet on peut y voir une interaction avec le roman de Sabato (art et fiction)

A Biancarelli