samedi 10 novembre 2012

Robert Silverberg aux éditions Actusf


Les Vestiges de l’automne

Le dernier chant d’Orphée

Hanosz Prime s'en va sur Terre



On le croyait définitivement perdu pour la littérature. Depuis la publication de l’édition française de Roma Aeterna en 2004, et une compilation de ses meilleures nouvelles, Robert Silverberg, l’homme qui a changé la face de la science fiction dans les années 70 s’était tu, hormis quelques articles ou chroniques et l’assemblage d’anthologies. Rançon peut être de l’extraordinaire productivité de jadis, quand il fallait dégorger du texte pour survivre. Désormais l’auteur de L’oreille interne jouit d’une certaine aisance matérielle et il le fait savoir à ses éditeurs.


En témoignent ces Vestiges de l’automne, reliquat d’un projet romanesque abandonné, L’été du grand retour, dernier volet d’un cycle débuté avec La fin de hiver et poursuivi avec La reine du Printemps. C’est à Eric Holstein, un des meilleurs connaisseurs de l’oeuvre du Maître, que nous devons cette résurrection éditoriale. Préfacé par Gérard Klein, l’ouvrage contient également le synopsis bilingue de L’été du grand retour. Il donne la mesure de cette vaste fresque avortée s’étendant sur quatorze millions d’années, d’une hauteur de conception comparable au Cycle d’Helliconia de Brian Aldiss. L’auteur britannique transposait les vues de Lucrèce du monde comme création perpétuelle, considérations que Silverberg n’écarte pas mais complète de son œil d’historien rompu aux travaux de Gibbon sur le déclin des civilisations.
Pour mémoire, La fin de hiver raconte principalement l’exode du Peuple, une espèce de singes intelligents réfugiée pendant sept cent mille ans dans le Cocon, un vaste abri souterrain conçu pour échapper aux pluies de météorites qui s’abattent sur Terre. La reine du Printemps évoque sa lutte contre une espèce d’insecte rivale, les Hjicks. Les Vestiges de l’automne, situé chronologiquement quelques deux cents ans après la fin du second volume, met en scène une expédition archéologique partie à la recherche du Cocon ancestral. Une rencontre inopinée avec des animaux marins intelligents, derniers survivants de leur espèce, bouleverse les objectifs initiaux…

« Je hais les voyages et les explorateurs », cette phrase de Claude Lévi-Strauss aurait pu figurer en incipit  (quoique pour des motifs différents) de cette longue et belle nouvelle pas très éloignée des royaumes du Mur, un autre ouvrage de Robert Silverberg. Une réflexion sur l’Histoire qui se prolonge dans la préface de Gérard Klein. A 10 euros c’est un somptueux cadeau.

Le dernier chant d’Orphée relate la vie du fils de la Muse Calliope auquel se rattachent des récits mythiques célèbres: l’épisode Eurydice, la quête de la Toison d’or, l’attaque des Ménades. L’incursion en Egypte est moins connue mais il semble bien que ce ne soit pas une invention de Silverberg. Le court roman – ou longue nouvelle comme on voudra – s’inscrit dans la veine du cycle de Gigalmesh à savoir une relecture des archétypes. L’exercice est ici plus difficile car les aventures sumériennes du roi d’Ourouk hantent moins les mémoires universitaires et les écrans de cinéma que les mésaventures du disciple d’Apollon. Néanmoins le romancier américain impose sa patte, d’abord par une écriture tantôt hiératique tantôt lyrique. C’est la marque de fabrique de Silverberg : garder une fluidité constante tout en adaptant le style à la situation. Enfin le sorcier de Majipoor se réapproprie tout simplement la légende d’Orphée et d’Eurydice. Ce cheminement qui mène le Poète du royaume d’Hadès à Apollon, au prix d’une lourde séparation, n’est ce point emblématique de l’œuvre de l’auteur ? Soleil brûlant de Minuit, « Voués aux ténèbres », La face des eaux (pour ne citer que ces textes) racontent la même histoire. Survivre a un prix : la perte de la vue, d’une croyance, voir de son humanité. Et quand l’aventure se termine tragiquement dans L’oreille interne, Les monades urbaines ou l’exode raté des juifs dans Roma Aeterna, une espèce de miracle se produit. La vie quitte les personnages mais ressuscite à travers l’écriture comme ici : «.. je jouai et je chantai. Par la grâce d’Apollon, je jouai et je chantai. J’allai chanter jusqu’ à la fin. Encore une fois, ma mort était proche, mais je n’étais pas encore mort et j’allai chanter jusqu’à mon dernier souffle. »
On n’oubliera pas la préface introductrice à l’œuvre de Pierre-Paul Durastanti  puis l’interview minutieuse de Eric Holstein à l’assaut de la montagne Silverberg et qui ne s’en laisse pas compter par un Shogun un peu enclin à refermer rapidement le dialogue.
Un ouvrage à glisser entre deux tomes de fantasy de votre rejeton, histoire de l’instruire en le distrayant …

La nouvelle Hanosz Prime s'en va sur Terre, donne l’impression que l’auteur américain a sacrifié pour une fois à Dionysos et non à Apollon. L’intrigue est inexistante (un jeune homme se rend sur Terre et tombe amoureux) mais la plume flambe. A prendre comme un heureux présage avant les Tales of Majipoor promises pour 2013 ?

« Désespérément, Prime essaya d’embrasser la totalité de cette folle intuition, du savoir de toutes ces races, ces civilisations, ces cultures, ces empires des Hommes qui s’étaient élevés du néant pour y retourner ensuite, avant d’être remplacés par d’autres qui, à leur tour, avaient disparu dans les inconcevables méandres de ce temps cyclopéen, emportés par les vagues successives d’une humanité sans cesse changeante et pourtant si semblable à elle-même : les Originaux et les Basiques, les Radiants et les Sereins, les Masques et les Tourneurs, les Sorciers et les Trônes ; les Faiseurs d’étoile, remplacés par les Vagabonds eux-mêmes mis sur la touche par ces Dragueurs de lunes qu’anéantirent le Peuple des ruches ; encore et encore et encore, ère après ère comme une longue continuité de changements, tout cela tissant l’inaccessible et incompréhensible histoire de la planète mère. Et encore, l’essentiel avait été perdu. Ce qui demeurait – les noms, les dates, les grandes périodes connues, les annales – n’était plus qu’une part infime de ce grand Tout. Hanosz Prime le savait bien. Juste des bribes, à peine un fragment ; un film aux couleurs éteintes, vidé de toute substance. »

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