mercredi 22 juin 2016

Le Pavillon d’Or



Yukio Mishima - Le Pavillon d’Or - Folio









Basé sur un fait divers, l’incendie d’un monument emblématique du Japon en 1950 par un déséquilibré mental, Le Pavillon d’Or paru en 1956 intègre désormais le patrimoine littéraire du pays du Soleil Levant. Quelques décennies plus tard, à l’image de l’objet de son ouvrage, l’auteur choisira une fin spectaculaire, non par les flammes mais par la voie du sabre, le seppuku. Yukio Mishima, plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel a bâti une œuvre prolifique et complexe autour des thèmes de la souffrance et de la beauté. Ses écrits expriment un nationalisme aigu tout en restant perméables aux œuvres occidentales.

Le récit raconte la lente déchéance morale d’un jeune bonze. Mizoguchi fils d’un moine bouddhiste suit les traces de son père en rentrant comme novice à Kyoto au service du Prieur du célèbre temple du Pavillon d’Or. Frappé dès son plus jeune âge d’un fort défaut d’élocution, il se retranche progressivement dans une forteresse mentale. La mort du père, l’éloignement de la mère, sont vécus comme autant de délivrances, la compagnie de ses semblables l’indiffère. Seule importe à ses yeux la beauté du célèbre temple, dont la vision assidue efface la conscience de sa propre médiocrité.

Quelques personnages forcent tout de même un peu cet emmurement. Tsurukawa, un compagnon d’étude, être doux et sensible et Kashiwagi son double maléfique et infirme qui entraîne Mizoguchi dans des jeux pervers. La mort du premier laisse le champ libre aux influences néfastes du second. Le récit des errements du jeune moine évoque alors plus les scandales des couvents que la quête spirituelle des prêtres de Bernanos. Rien ne transpire des enseignements du bouddhisme Zen, hormis les rituels quotidiens produits d’une stricte discipline. En entamant un cycle d’études universitaires Mizoguchi s’en affranchit un peu plus.

L’intrigue se déroule en partie lors de fin de la seconde guerre mondiale. Bien que le héros dit se désintéresser de ces évènements, en particulier la capitulation, on sait que l’écrivain a toujours défendu les valeurs traditionnelles du Japon. Mishima a t’il identifié le destin de l’Empereur contraint par les Alliés à renoncer à son statut de Divinité descendant de la Déesse du Soleil, à celui du célèbre Pavillon ? Cette humiliation nationale imprègne une séquence forte du roman montrant le jeune moine invité par un militaire américain saoul à piétiner le ventre d’une prostituée japonaise, en échange de quelques cigarettes.

En miroir de la beauté spirituelle du Pavillon d’ Or, l’écrivain oppose la vision à la fois fascinante et repoussante de la chair des filles de joie que fréquente le moine. Elle témoigne de la pauvreté affective de Mizoguchi. Dans un épisode magnifique et méditatif  il prend conscience du néant de la Beauté. En un sens son projet d’unir son destin à celui du temple aboutit. La forteresse vide de son esprit fait écho à la citadelle du Néant.

L’ écriture lente et introspective sert magistralement ce récit d’une initiation au Mal, entrecoupé de quelques séquences proprement picturales rappelant les estampes japonaises.

Le Pavillon d’Or est une œuvre puissante et profonde. L’édition en folio gâche la fête. La préface rédigée en 1960 par un orientaliste distingué date quelque peu. Il y aurait tant à dire sur ce roman de la vacuité, et les réflexions esthétiques et ontologiques qu’il suscite en Occident.

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