mercredi 1 octobre 2014

High-Opp



Frank Herbert – High-Opp – Ailleurs & Demain Robert Laffont






S’il ne devait rester qu’un auteur emblématique de la maison Ailleurs & Demain, peut-être faudrait il désigner Frank Herbert. Pour de bonnes et de mauvaises raisons d’ailleurs. Dune, livre phare de la littérature de science-fiction, suivi d’autres excellents ouvrages du Maître, lança commercialement la collection de Gérard Klein. Suivirent hélas, à la mort de l’auteur, une avalanche de préquelles du monde de sable rédigées par son fils Brian en collaboration avec Kevin J. Anderson.

Pourquoi publier une oeuvre de jeunesse de Frank Herbert ? Faisons abstraction des difficultés actuelles de l'éditeur pour nous concentrer sur l’essentiel ; High-Opp est un inédit d’un géant littéraire.
Une tyrannie bureaucratique gouverne le monde. Comme dans Métropolis, un fossé sépare puissants et misérables, high-opps et low-opps. Un  état de fait justifié aux yeux de tous par un mode de gouvernance fondé sur les sondages - truqués bien sûr-, et la dictature de l’opinion. Le pouvoir est partagé entre plusieurs bureaux : psychologie, transports, recensement, opinion … le tout chapeauté par un coordinateur. Un des puissants dirigeants, Movius, chargé de la liaison entre les différents organes de direction, est victime de malversations. Ejecté par un sondage de son poste, il doit quitter précipitamment son luxueux logement pour se réfugier dans un studio du quartier des « Terriers ». Cependant, doté de capacités intellectuelles dignes d’un directeur de collection  et s’appuyant sur l’organisation des Séparatistes, le bonhomme entreprend de remonter à toute allure les marches de l'escalier social et de tout balayer.

Inutile de le cacher plus longtemps, High-Opp, publié entre 1955 et 1960 selon Gérard Klein, est un pur Van Vogt, mais un Van Vogt habité par une conscience politique. Certes on retrouve la mécanique d’intrigues à tiroir,  la succession de chapitres nerveux, ponctués par des coups de théâtre incessants chers au vieil Alfred, et propres à transformer le cerveau du lecteur en ampoule secouée par un interrupteur marche arrêt activé tous les dix pages, - avec les conséquences que l’on imagine. Mais au-delà de ce goût pour les sinuosités narratives complotistes, que l’auteur de Dune ne reniera pas, surgissent quelques réflexions annonciatrices des futurs grands romans. La dénonciation de l’oppression, par exemple, qui vise, oh surprise, le Fondation d’Isaac Asimov, inspirateur du plus puissant des Bureaux de High-Opp , le Bur-Psy. Voici ce dit Movius en page 133 : « les civilisations ne se construisent pas à partir de graphiques. […] Ce sont les gens qui les construisent. » Et plus loin page 172 : « On ne peut pas réduire un homme à une courbe sur un diagramme ». Pour Herbert, le Pouvoir est d’essence tyrannique et la porte de sortie consiste justement en la capacité des hommes à le renverser.

High-Opp emprunte beaucoup au Monde des non A, mais quelques indices (la sémantique, l’interdiction des livres d’Histoire, la lutte contre la tyrannie) laissent à penser que l’écrivain aurait pu tenter de rédiger un  nouveau 1984. Seulement voilà, Van Vogt est le grand Attracteur Etrange des fifties à l’image de Vance ou Heinlein. Comme Dick et peut-être le Simak du Torrent des siècles, ainsi que le suggère Nébal, Herbert a assimilé la technique narrative de l’auteur d’A la poursuite des Slans, avant de trouver son propre chemin. 

En page 173, Movius dit encore : « […] un collaborateur et moi avons trouvé le moyen de capter le faisceau (de sondage) sans être détectés. Nous l’avons fait à titre d’exercice, justement parce que les gens disaient que c’était infaisable […]. ». Le 12 septembre 1962 à l'université Rice, annonçant le futur programme lunaire, John Kennedy utilisera presque les mêmes éléments de langage : « Nous choisissons d’aller sur la Lune dans cette décennie et faire d’autres choses encore, non parce que c’est facile, mais bien parce que c’est difficile ». C’était aussi cela, le monde de Gosseyn et de Movius.
Avec sa grammaire ancienne, High-Opp est une curiosité sympathique. Sans oublier la postface instructive de Gérard Klein,

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne me souviens pas où je l'ai vu mais ce roman serait une première version de "Dosadi". Le résumé donne aussi cette impression sans pour autant coller dans la forme, Dosadi étant un planète isolée. Je me demande si la lecture de ce roman est vraiment nécessaire si on a déjà lu "Dosadi"

Anonyme a dit…

"mais ce roman serait une première version de "Dosadi"

C'est tout à fait cela et souligné par GK.

Cdlt
SV

Gérard Klein a dit…

High-Opp n'a pas été publié entre 1955 et 1960, mais aurait été écrit entre ces dates. Nous en savons désormais plus et High-Opp a été écrit en 1953 et refusé par Campbell en janvier 1954.
Le succès de Dune dans Ailleurs et demain a été très long à venir. Et ce sont plutôt Le Vagabond, En terre étrangère et Tous à Zanzibar qui, avec Ubik ont "lancé commercialement la collection Ailleurs et demain. Le décollage de Dune n'a vraiment commencé que lorsque j'ai réuni Dune et Le Messie de Dune, vers 1974 ou 1975. Le livre a mal démarré, comme aux USA parce que gros, difficile et desservi par une mauvaise presse: dans Le Monde, Goimard le dit "aussi aride que les sables d'Arrakis". Il semble avoir changé d'avis, le succès venu.
Un pur van Vogt, je ne dirai pas, Le Monde des A parait en 1953 et il n'est certain que Herbert ait pu le lire avant d'écrire son roman. Mias comme je l'ai indiqué dans la postface, l'influence est possible.
On poeut tout à fait le lire puis lire Dosadi ou inversement.

Gérard Klein

Gérard Klein a dit…

Je viens de commettre une erreur. The world of Null-A est paru en revue en 1945 et sous forme de livre en 1948 chez Simon and Schuster. C'est la traduction française qui est parue dans le Rayon Fantastique en 1953.
Donc Frank Herbert pouvait parfaitement l'avoir lu et s'en être inspiré, ce qui me semblait effectivement vraisemblable même si je situais l'écriture de High-Opp plus tard.
Je voudrais ajouter que lors de la parution en France de Dune, Herbert y était tout à fait inconnu, contrairement à Leiber, Dick, ou Brunner. Et pour la petite histoire, mon Les Seigneurs de la guerre, en 1971, l'a rapidement devancé aux alentours de 20 000 exemplaires en attendant les 100 000 et plus des éditions club et poche.
C'était le bon temps.

Anonyme a dit…

"The World of Null-A" est paru en revue en 1945". Jacques Sadoul évoque ce point, peut-être dans son "Histoire de la science-fiction", sur laquelle je n'arrive pas à mettre la main. Les lecteurs de la revue étaient appelé à noter les textes parus.

Le professeur Bull pourrait corroborer la parenté entre les ouvrages de Herbert et Van Vogt. Notez par exemple comment Movius et Gosseyn contemplent le fleuve d'une ville sommairement décrite, au début de leur odyssée.

Soleil vert

Anonyme a dit…

21 euros, 252 pages, c'est tout vu pas d'achat.