dimanche 4 mars 2018

Nouvellistes américains (4)


F. Scott Fitzgerald - La fêlure - Folio









Célèbre à vingt ans, oublié à quarante, éternel fauché jouant au riche, écrivain dilapidant son talent et finalement légendaire, Scott Fitzgerald accumule les paradoxes. Comme Nick Carraway, personnage du célèbre Gatsby le Magnifique, l’establishment le fascine. A défaut de l’intégrer il en fera la matière de son œuvre. Hemingway raillera cette attitude. Notre époque plus clémente reconnaîtrait en lui un jet setteur dont les extravagances et celles de son épouse Zelda anticipaient celles de nos rocks stars contemporaines.


Le recueil de nouvelles présenté ici a le mérite de révéler les fêlures dissimulées sous les paillettes. L’auteur du dernier Nabab est une des grandes figures de la lost génération, jeunes gens rescapés de la boucherie de 14-18 dont les illusions entretenues par les années folles volèrent en éclat au contact de la dépression économique de 1929 et de la seconde guerre mondiale.  Tout cela transparaît dans des textes en forme d’autofiction relatant les difficultés matérielles (« Comment vivre avec 36 000 dollars par an », « Manier avec précaution »), les blessures morales (« La fêlure »), les pannes d’inspiration (« L’après-midi d’un écrivain », « Cent faux départs »)…


La part de fiction de ces textes est d’ailleurs assez faible. Ils prennent la tournure de chroniques typiquement journalistiques à l’instar des « Echos de l’âge du jazz », de « Ma génération » et de récits autobiographiques - la plupart des nouvelles -. L’écrivain s’écarte peu de cette veine : « Le sommeil et la veille », encore à la première personne, emprunte la piste (« Now I lay me ») d’Hemingway, et surtout « La mère de l’écrivain », émouvant, semble enfin raconter une histoire.


Aucun de ces écrits ne se détache particulièrement. J’ai néanmoins apprécié l’humour de « Comment vivre avec trois fois rien par an» tribulations d’une famille américaine découvrant la French Riviera, ainsi que « La fêlure », « L’après-midi d’un écrivain », « La mère de l’écrivain » déjà cités. La préface de Roger Grenier justifie presque à elle seule l’achat du livre et la photo de couverture non créditée est sublime.


Bien sûr l’essentiel de Scott Fitzgerald semble ailleurs, dans un ou deux romans vénérés dont les traductions françaises suscitent des débats passionnés. Bien sûr les ouvrages de Carver, Russel Banks, Jim Harrison chroniqués récemment ici m’ont bien plus impressionné. Mais l’ami d’Hemingway reste irrémédiablement touchant. Un paradoxe de plus.


« Je n’ai plus aucune sympathie pour le facteur, l’épicier, le rédacteur en chef, ni pour le mari de ma cousine qui, lui-même va finir par me détester, de sorte que jamais la vie ne sera plus très agréable ; une pancarte CAVE CANEM est en permanence accrochée au-dessus de ma porte. Je m’efforcerai néanmoins de faire un animal convenable, et pour peu que vous me jetiez un os avec assez de viande dessus, il se pourrait que je vous lèche la main. »

1 commentaire:

Marc Ortega a dit…

Sans aucun doute son livre le plus pathétique.