vendredi 1 décembre 2017

Blue


Joël Houssin - Blue - Goater collection Rechute









Refermer Blue, c’est pour moi refermer la malle aux souvenirs. La faute à cette préface sensible de Mme Débat. Alors comme ça M Houssin vous déambuliez boulevard des Batignolles dans les seventies? J’ai arpenté quotidiennement le bitume entre la Place Clichy et le lycée Chaptal entre 1970 et 1974. Je ne vous y ait jamais croisé. Quel regret. J’aurais bien volontiers intégré votre gang des Patineurs ou celui des Monte-en-l’air, anciennes gloires locales. Il est vrai que les Batignolles, même en 70 n’avaient plus rien d’un faubourg. La place Clichy n’avait rien non plus d’un ghetto. C’était plutôt Babylon 5, à la confluence de plusieurs arrondissements et de plusieurs mondes. A l’ouest les rupins de Rome et de Villiers, au nord la banlieue de Clichy et de Saint-Denis, la foule interlope de Blanche ou Pigalle et les musicos de la rue Fontaine à l’est, et plus au sud mes échappées vers la Trinité et les éditions Opta. A Chaptal, les science-fictionneux au nombre de deux (à ma connaissance, un copain breton et moi) montraient timidement le bout de leurs nez. Ce fut mon univers.


Bref.



Les Monte en l'air des Batignolles

Blue met en scène un Paris post apocalyptique ceinturé par un Mur gardé par des créatures inquiétantes et sans pitié, les Néons. A l’intérieur les humains regroupés en bandes se partagent les lieux : les Patineurs, les Bouleurs au front de métal, les Musuls, ancien gang dominateur  aujourd’hui réfugié dans les souterrains de la capitale, les Skins, les Youves, friands de trafics en tout genre, les Saignants dirigés par le redoutable Lame, les Errants vestiges d’anarchistes et enfin les improbables et pacifiques Krishie fournisseurs de viande avariée. Tout ce petit monde survit tant bien que mal à coups de baston et de revendications territoriales. D’autres, comme Blue le chef des Patineurs, rêvent de passer le Mur. A condition toutefois, pour ces indiens d’un nouveau genre, d’en passer par « l’unification des tribus ».


Banlieues à la dérive, ghettos de sinistres mémoire, mur de Berlin, les réminiscences pleuvent à la lecture du roman de Joël Houssin. D’aucuns se souviendront de New York 1997 le film de John Carpenter ou du désert du monde de Jean-Pierre Andrevon. Pour le commun des mortels les prisons demeurent des lieux d’exclusions nécessaires, les cités des no man’s land de pauvreté et d’altérité. Quelques romanciers sont persuadés du contraire. Dans le séminal Comte de Monte-Cristo, Edmond Dantès retrouve espoir auprès de l’abbé Faria avant d’aller affronter les Danglars, Mondego, Morcef  et autres Caderousse. L’Humanité réside à l’intérieur des forteresses, l’Inhumanité à l’extérieur. Houssin y ajoute une noirceur à la Andrevon qui culmine avec cette scène où Tout Gris, narrateur et lieutenant de Blue guide son chef, selon les termes magnifiques de Jeanne A. Débats,  tel « Antigone menant Œdipe » à travers « le miroir de leurs illusions ».


Ce roman précurseur d’Argentine témoigne d’une facilité d’écriture déconcertante et d’un art subtil de la progression dramatique. On s’attache à ces personnages qui dissimulent leur désespoir sous le masque de la cruauté ou de l’ignorance et en particulier à Blue et Tout Gris, figures classiques du Cavalier et du Juste, celui qui agit et celui qui sait. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage reparaît dans une nouvelle collection en forme d’hommage aux défuntes et célèbres éditions Chute Libre. La livrée est superbe. Comme quoi on peut aller enterrer ses illusions et soigner sa tenue.  

4 commentaires:

Anonyme a dit…

C'était bien, hein ?
(Désolé, je n'ai pas toutes tes références ^^)

Ubik

Soleil vert a dit…

Oui, il y a une espèce de sincérité dans ce bouquin qui le garde toujours jeune.

jipaife@gmail.com a dit…

bonjour

cette couverture tres chute libre m évoque aussi tous les farmers pornos et pas
et le lycée chaptal l'affaire guiot en 71 j'y étais et j ai aussi arpenté la place Clichy et sa librairie

Soleil vert a dit…

Michou le Terrible (surnom donné par Nebal à Houellebecq) a fait un court séjour en prépa à Chaptal de 74 à 75, mais j'étais déjà ailleurs.