dimanche 15 janvier 2012

Un meurtre à l’ Opéra

Ian M. Banks - Les Enfers Virtuels 1 et 2 – Ailleurs et Demain – Robert Laffont



Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate 
Dante Alighieri

La douleur s’atténua brusquement, juste le temps d’entendre le démon lui dire :
- Tu aurais du avoir une religion, mon enfant, dans laquelle tu aurais pu trouver l’espoir que nous aurions pu alors écraser.
Ian M. Banks

Presque trois ans après Trames, la collection Ailleurs et Demain publie Les Enfers Virtuels de Ian M. Banks, le nouveau volet du cycle de la Culture, une fresque romanesque démesurée dans le sillage de Dune, Fondation, Le fleuve de l’éternité. On ne présente plus cette civilisation galactique à la fois hédoniste et subtilement interventionniste, composée d’humanoïdes  et de vaisseaux spatiaux fabuleusement intelligents, 
Les lecteurs de Trames gardent en mémoire l’invention délirante du monde gigogne de Sursamen conçu comme une copropriété à l’échelle d’une planète artificielle et creuse, - ainsi qu’un final à tout casser. Dans les ouvrages de l’auteur écossais les âmes torturées fascinent tout autant que l’attirail technologique. Reste à savoir si au fil des titres (8 chez Laffont) le cocktail de VSG, Orbitales, missiles couteau et drones ne va pas rejoindre au grenier des lassitudes le poisson pas frais de Ordralfabétix.

Quelque part dans la galaxie, l’Habilitement Sichultien se trouve pris sous les feux des projecteurs. Des Joueurs s’affrontent dans une guerre ludique dont l’enjeu est la poursuite de l’existence des Enfers Virtuels, des univers artificiels dans lesquels certaines civilisations projettent leurs éléments jugés indésirables qui y subissent des tortures épouvantables et sans fin. La Culture, opposée à cette aberration, soupçonne  le Disque Tsungariel, un gigantesque artefact situé au cœur de l’Habilitement Sichultien, d’abriter les serveurs générant ces espaces virtuels. Mais comment intervenir sachant que le camp pro-Enfer compte dans ses rangs Le Reliquariat de Nauptre une civilisation de niveau 8 ?

Un homme de pouvoir et d’affaires sichultien, Veppers, tente de tirer parti de cette situation. Il vient d’assassiner la fille de son ancien partenaire commercial, une jeune femme ravalée au statut d’esclave suite à la faillite de son père. Dotée d’un lacis neural, cadeau d’un Mental de la Culture, Lededje - tel est son nom -  ressuscite dans un VSG (le bien nommé Sens dans la démence, Esprit parmi la folie) qui compte l’utiliser dans ses plans anti-Enfers.

Malgré l’ancienneté du Cycle, on plonge toujours avec le même plaisir dans l’univers de la Culture. Le talent de conteur de Ian M. Banks n’est plus à démontrer. Multiplication des lignes narratives, intrigues s’imbriquant progressivement, l’attention du lecteur ne faiblit pas au fil des deux volumes. Paradoxalement cette maîtrise génère un premier motif d’insatisfaction. On eut aimé un dérapage du récit et assister à une véritable irruption dans le réel du conflit avec déferlement de zombies, de démons et tutti quanti plutôt qu’à une simple transposition.  Enfin le coup de théâtre final sent son réchauffé.
Au chapitre des satisfactions, Veppers emporte l’adhésion. Personnage lubrique, retors au possible, manipulant sans vergogne des aliens infiniment puissants, on lui abandonnerait sans hésitation la falote Lededje. Elle porte cependant sur ses faibles épaules le thème récurrent et principal du roman : la vengeance.

Avec les quelques (trop courtes ?) pages consacrées aux Enfers et au Refuge, l’ouvrage prend enfin son envol et Banks confirme son statut de grand écrivain. L’odyssée malheureuse de Prin et Chay, deux universitaires Pavuléens ayant choisi de s’immerger volontairement dans les royaumes infernaux pour témoigner, impressionne. Le couple séparé rejoint dans la panthéon de la SF les Jorge et Sybille de Born with the death une nouvelle fameuse de Robert Silverberg, sans compter quelques figures littéraires ou mythologiques bien connues que nous ne citerons pas sous couvert d’être taxé d’enthousiasme excessif. Les feuilles consacrées à l’existence de Chay dans le Refuge descendent en droite ligne de l’archétype littéraire créé par Flaubert dans Un cœur simple : une vie en quelques pages.

On regrette que le soufflé se dégonfle en fin de volume et que Les Enfers Virtuels ne se hissent pas au niveau des meilleures productions du cycle. Mais l’ensemble reste, suivant la formule consacrée, au-dessus du panier. Et comment ne pas remercier l’auteur d’ajouter à la liste des perversions universelles, le plaisir de tuer l’espoir ?

2 commentaires:

Guillmot a dit…

J'ai entamé le premier tome, pour le moment je n'ai pas encore d'opinion sur le couple Prin et Chay. Pour sa part Chay m'a semblé pas assez exploitée dans le t.1, j'attends donc de poursuivre ma lecture.

Soleil vert a dit…

Alors ce tome 2 ?