vendredi 27 mai 2016

Infinités



Vandana Singh - Infinités - Denoël Lunes d’encre







De nationalité indienne, vivant aux Etats-Unis, Vandana Singh est professeur de physique et auteur de science-fiction. Elle a publié depuis 2002 trois romans et une vingtaine de nouvelles. Celles-ci ont été traduites en France principalement dans les revues Fiction et Bifrost. Infinités regroupe dix d’entre elles ainsi qu’un court essai.

Avant de présenter les textes, quelques mots sur la couverture sidérale et sidérante dessinée par Aurélien Police. Rarement a été aussi bien illustrée l’idée que le désir en nous projetant sans cesse sur de nouveaux objets en rejette la satisfaction définitive vers un horizon inatteignable. L’inaccessibilité de cette femme-nébuleuse renvoie aussi à l’incompréhension des hommes vis-à-vis de la gente féminine. James Tiptree avait intitulé une de ses nouvelles « The Women Men don’t see » et plusieurs textes de Vandana Singh gravitent autour de ce constat. D’autres enfin y verront Maya, héroïne de « Tétraèdre ».
Une dessin de Virgil Finlay
Plus prosaïquement, l’inspiration d’Aurélien Police hérite de celle des pulp-artists, en particulier ici de Virgil Finlay. Ce dessinateur décédé en 1971 avait travaillé pour les magazines Weird Tales et The American Weekly. Beaucoup moins connu que Frank Frazetta, ses travaux témoignent d’une rare élégance de style, combinant réalisme et imagination.

Les dix nouvelles forment un ensemble homogène. Les personnages, dont une légère majorité de femmes, évoluent au cœur de la société indienne, ce qui permet à l’auteur de jouer avec la thématique de l’émancipation, à la fois rupture avec une culture traditionaliste dominée par les hommes, et affranchissement du réel au profit d’autres univers. Vandana Singh se situe ainsi aux avant-postes de la fiction spéculative moderne.

« Faim» raconte une fête d’anniversaire interrompue par le décès d’un parent d’un domestique du voisinage. L’incident met en lumière les clivages sociaux de la société indoue. Les invités issus de la classe dirigeante et du milieu professionnel du mari de l’héroïne sont choqués par la compassion de celle-ci envers les humbles. « On n’a pas besoin d’aller dans les étoiles pour trouver des aliens » dit Divya.  C’est bien vu, mais justement dans cette optique j’aurais souhaité que l’auteur s’appesantisse un peu sur les lectures de science-fiction de son personnage, ou qu’un ouvrage de science-fiction soit mis en parallèle avec le reste du récit.

« Delhi » met en un scène un personnage vagabond à la recherche d’une jeune femme qui pense t’il répondra à ses angoisses existentielles. Ses pérégrinations l’amènent également à emprunter des flux temporels. Comme précédemment le véritable thème de la nouvelle est la découverte d’univers moraux. A la lecture cependant le récit semble partir dans tous les sens.

Hormis ces deux réserves et « Les trois contes de la rivière du ciel » qui m’ont laissé indifférent, les autres récits vont du bon à l’excellent.

La folie et l’humour constituent les ingrédients principaux de « La femme qui se croyait planète », satire encore de la famille indienne avec un mari plus soucieux de respectabilité que du bien être de sa femme. Un texte fantastique dans la lignée de Tiptree.

« Soif », encore plus abouti,  raconte l’histoire d’une femme attirée comme sa lignée par l’eau et qui oscille entre deux univers. La progression maîtrisée du texte, la beauté de l’écriture émerveillent.

Pièce centrale du recueil, « Infinités » s’apparente autant à une méditation, qu’à un récit proprement dit, à travers la vie d’un prodige scientifique hanté autant par les mystères des nombres que par l’irrationalité du comportement de ses semblables. On ne se lasse pas de lire et de relire cette nouvelle aussi intelligente qu’érudite.

Le thème de la rencontre avec des civilisations extraterrestres  émerge de deux récits, « Les lois de la conservation » et « Le Tétraèdre ». Dans le premier, un astronaute découvre au sein d’une anfractuosité d’une falaise martienne un espace interdimensionnel remplie de roues (svatiska ?). Dans le second, promise à un mariage arrangé, une jeune femme profite de l’irruption d’un gigantesque objet extraterrestre à New Delhi pour s’échapper dans d’autres mondes. Encore l’influence de Tiptree !

Les deux dernières nouvelles pourraient tout aussi bien être présentées dans une anthologie de littérature générale. Elles sont caractéristiques de ces textes qui ne semblent tenir que par l’écriture tant est mince le fil de l’intrigue. Dans « L’épouse » une femme récemment divorcée fait le bilan de sa vie dans l’ancienne maison familiale. Elle réalise qu’elle n’a été tout au long de sa vie qu’une étrangère jusqu’ à l’être pour elle-même. Avec « La chambre sur le toit » le recueil s’achève sur un air de fête, la fête de la mousson. Alors que tombent les premières pluies annuelles, une jeune femme sculptrice s’installe dans une chambre inoccupée d’une maison familiale. Pour qui, pourquoi travaille t’elle ainsi sans relâche ? Dans cet ultime texte, la vie et la mort se fondent joyeusement au sein même de la création.

L’hybridation littéraire semble être le maître mot de Vandana Singh. C’est ainsi qu’il faudra apprécier ce beau recueil où l’ombre d’ Alice Bradley Sheldon alias James Tiptree, pèse plus à mon avis que l’influence revendiquée d’Ursula Le Guin.

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