samedi 16 janvier 2016

Dragon



Thomas Day - Dragon - Le Bélial’ Collection Une heure lumière






Avec Dragon de Thomas Day, Le Bélial’ inaugure une nouvelle collection « Une heure lumière » dédiée au format court ou « novella » pour reprendre le terme anglo-saxon usité. A la suite d’autres confrères, l’éditeur expérimente, avec succès espérons le, une formule qui offre le double avantage d’un coût modique et l’opportunité de renouer avec le plaisir addictif de la lecture one shot . Les volumes sont livrés sous des couvertures élégantes à rabat signées Aurélien Police. Les premiers titres annoncés désignent des ouvrages primés d’auteurs renommés.

Dragon plonge le lecteur au cœur d’une métropole asiatique que l’auteur connaît comme sa poche. Dans un Bangkok soumis à des moussons récurrentes, un tueur en série s’attaque aux pédophiles. Le lieutenant Tann Ruedpokanon, - dont le nom est une construction sémantique autour de « Tanhauser Red Pokemon » (1)-, traque le criminel, avec pour mission de diligenter l’affaire le plus discrètement possible. En effet si les autorités combattent désormais des pratiques inacceptables, le tourisme sexuel reste une activité tolérée en Thaïlande, comme dans tout le sud est asiatique. Le business avant tout. Tann n’échappe pas non plus à cette ambiguïté. Homosexuel, il fréquente les ladyboys, appréciés des occidentaux. Le tueur, connu sous le nom de Dragon, ne néglige en revanche aucune publicité.  Il laisse des cartes de visite et s’autorise un meurtre en direct live.

Au-delà de l’intrigue, c’est d’abord une ambiance, un exotisme que va goûter le lecteur : « L’air chaud et humide ruisselle de l’épaisse couche de pollution qui couvre la mégapole sur trois mille kilomètres carrés. Une atmosphère qui en vous serrant la gorge, sent la nourriture bon marché, le curry rouge, les grillons grillés. La puanteur se cache non loin, mais derrière, comme après digestion. La ville ne cesse jamais de digérer : gaz d’échappement, tas d’ordure aux remugles piquant comme des insectes, égouts saturés, rats qui trottinent le long des trottoirs. Sous l’odeur qui monte du sol, on devine un réseau d’intestins rempli de merde à demi-liquide, paresseuse, inlassablement repoussée vers la cité par la marée, par une mer épuisée dans laquelle il serait suicidaire de se baigner, si polluée que sa surface huileuse, mousseuse, brunâtre, n’évoque plus que les eaux brassées d’une station d’épuration. Le Golfe de Thaïlande est une cuvette de toilette géante … »

Comme dans tout polar qui se respecte, une chasse à l’homme s’engage entre un policier expérimenté et déterminé et un criminel presque omniscient. Tradition du roman noir oblige, les deux s’insèrent mutuellement dans une boucle psychologique avec un final fantastique original. Le roman avance à coups de courts chapitres aux numérotations non consécutives. Le procédé a été déjà expérimenté par Ian M. Banks et Stéphane Beauverger, sans convaincre. Autant lire dans l’ordre des pages. En tout cas ce rythme favorise une forme de narration héritière de la noirceur des textes de Jean Pierre Andrevon et des coups de poings de Jacques Sternberg pour lequel la littérature était avant tout une affaire de Contes à régler.

Les ressorts du récit s’appuient sur la forte culture cinématographique de l’auteur, David Cronenberg, en particulier. Le dialogue entre Dragon et  Susan Schwartz (« Prenez le temps de respirer Susan, je suis loin de vous et jamais je ne vous ferai de mal. Jamais ») évoque un échange entre Hannibal Lecter et Clarice Starling.

Dans ce bon thriller exotico-fantastique qu’on pourrait rapprocher des Chants de Kali de Dan Simmons pour l’évocation d’une cité du Mal prédatrice d’enfants, Thomas Day rappelle l’insupportable silence des agneaux qui croupissent dans les bordels asiatiques et, ajoutons à titre personnel, sans oublier ceux qui pourrissent sur un théâtre de guerre ou au bord d’une plage méditerranéenne.


(1) Tann dérivé de Tem, héros des Futurs mystères de Paris de Roland Wagner ?

1 commentaire:

Thomas Day a dit…

Aucun rapport entre Tann et Tem (vraiment aucun). Tann tire son nom (et son destin ?) de Tannhäuser, personnage d'opéra qui, libéré de Vénus, aspire à la liberté, la nature et l'amour de Dieu. Il est possible que dans Dragon Tann accède aux trois, mais de façon oblique...