jeudi 6 octobre 2016

L’Ile des Morts - Edition intégrale



Roger Zelazny - L’Ile des Morts - Edition intégrale - Mnémos


Le présent volume contient :

-          « En cet instant de la tempête »
-          « Cette montagne mortelle »
-          « Lugubre lumière »
-          L’Ile des Morts
-          Le Sérum de la déesse bleue
-          « Les Furies »
-          « Clefs pour décembre »


Ne pas relater le travail effectué par Timothée Rey pour le compte de l’éditeur Mnémos sur l’une des œuvres emblématiques de Roger Zelazny serait au mieux une faute de goût, au pire une injustice. Une génération de lecteurs a dévoré L’Ile des morts paru jadis chez J’ai Lu et sa suite Le Sérum de la déesse bleue publiée en Présence du futur. De ces romans où s’affrontent des dieux incarnés dans des mortels, Timothée Rey propose une nouvelle édition augmentée et réordonnée en une mini Histoire du futur (1). Si « Lugubre lumière » était connu, beaucoup découvriront les quatre autres nouvelles. « En cet instant de la tempête », en particulier apparaît comme un spin-off, voir un embryon de l’Ile des Morts. L’anthologiste, qui a également revu la traduction, s’est fendu d’une préface remarquable et d’un glossaire bien utile, car l’écrivain est le maître des ellipses narratives et de l’hyperespace textuel.

Si l‘on devait prioriser un de ces textes courts, autant se jeter sur l’introduction. Timothée Rey a concocté un voyage érudit et passionnant au pays de l’inspiration de Roger Zelazny. Le lecteur parcourt ainsi les mythes grecs de l’ancienne Arcadie, traverse Les Bucoliques de Virgile – dont un berger prête son nom à l’une des lunes d’un monde façonné par Francis Sandow – et redécouvre d’un œil neuf quelques peintures célèbres, au nombre desquelles figure la fameuse toile de Böcklin qui donne son nom à l’ouvrage. L’interprétation des figures et concepts présents dans l’œuvre de l’auteur des Neuf princes d’Ambre éblouit comme jadis la fameuse lecture de L’homme dans le labyrinthe de Rachel Tanner (2).

A tout seigneur (de lumière) tout honneur, L’Ile des Morts met en scène Francis Sandow, doyen de l’Humanité et également un des 27 porteurs de Noms. L’homme d’affaire est devenu au cours d’un voyage à la limite de l’univers connu l’incarnation de Shimbo, un dieu Pei’en maître de la foudre. Il doit sa longévité à d’interminables périples interstellaires effectués en hibernation et aux progrès de la médecine. Ce statut de démiurge lui octroie le pouvoir ou la science (avec Zelazny on ne sait jamais exactement) de création de mondes et le rend immensément riche. Un message d’un de ses amis Pei’ens mourant, l’enlèvement de Ruth, une ancienne connaissance, le forcent à quitter Terre Libre, un de ses refuges, et à combattre ses ennemis, dont Belion, une autre divinité.

Comme souvent chez l’auteur, L’Ile des Morts raconte la vengeance d’un être solitaire et puissant. Comme souvent aussi on retrouve cet art des raccourcis narratifs. Par quels moyens Francis Sandow parvient-il à créer des répliques idylliques de la Terre en quelques dizaines d’années ? On est très loin des laborieuses terraformations décrites par Kim Stanley Robinson dans sa trilogie martienne, et plutôt dans l’ellipse poétique. Roger Zelazny a imaginé un héros hanté par le néant, un démiurge esthète qui n’hésite pas à créer une île reproduisant le tableau de Böcklin, un personnage à son image, tant l’écrivain semblait lancé dans une course poursuite entre l’écriture et la mort. Cette méditation sur la création artistique et la richesse thématique du roman font de L’Ile des Morts une œuvre majeure.

Le Sérum de la déesse bleue n’atteint pas cette qualité conceptuelle. Francis Sandow apparaît en second plan dans une intrigue sur toile de fond d’un conflit opposant « Nations Dyarchiques » (NADYA) et « Ligues Combinées » (LC).Malacar Miles, un ancien combattants des NADYA, projette d’utiliser les pouvoirs de Heidel von Hymack pour détruire Les Ligues Combinées. H, ainsi le surnomme-t-on, est en effet habité par une déesse Pei’enne de la maladie et de la guérison. En fait Heidel von Hymack sème la mort sur son passage.
Curieux roman que celui-là avec son intrigue minimaliste et un final (le combat entre Shimbo de l’Arbre Noir et Arym-o-myra) auquel Zelazny semble ne prêter aucun intérêt.

Des 4 nouvelles présentes dans ce volume, on retiendra « Cette montagne mortelle » dans laquelle un alpiniste de l’impossible qui sacrifie tout à sa passion est confronté à son passé.On retrouve Francis Sandow au sommaire de « En cet instant de le tempête ». Bien avant Interstellar - mais Michel Demuth avait déjà abordé le thème - Zelazny confronte le temps long des astronautes et le temps court des simples mortels dans un texte sur la solitude. « Lugubre Lumière » met face à face, sur une planète à l’agonie, Francis Sandow et son fils.

Intrigues, personnages, Zelazny ne serait pas Zelazny sans ce ton inimitable peut être hérité de Cordwainer Smith, qui tient à la fois de la poésie et d’une espèce de distanciation par rapport au récit.

On ne saurait trop recommander l’achat de ce volume. Certes L’Ile des Morts est la seule fiction incontournable - à coté de textes honorables - mais l’appareil éditorial de premier ordre rend caduques les éditions précédentes.








(1)   Glossaire : les 4 périodes pages 472 et 473
(2)   Bifrost Spécial Silverberg.

1 commentaire:

Gibliam Wilson a dit…

Je sens que la pile des bouquins à lire va encore augmenter d'un étage... Ca fait un moment que je voulais essayer L'Île des morts, je crois que c'est l'occasion. Et la couverture a de la gueule, ce qui ne gâche rien !