vendredi 6 juillet 2012

Villes étranges

China Miéville – The City & the City – Fleuve noir



-        Où est il à présent ?
      -       Comment je le saurais ? Ils ne courent pas le risque de l’ observer. Tout ce qu’ils ont bien voulu dire, c’est qu’il s’est mis à marcher. Juste marcher, mais de façon à ce qu’on ne puisse pas déterminer ou il est.



Quelques villes improbables hantent la littérature. Dans Le monde inverti, Christophe Priest imagine une cité condamnée à progresser dans un espace temps impossible pour survivre. James Blish expédie les siennes (1) dans l’univers, une partie d’échecs célèbre dicte les agissements des citoyens de La ville est un échiquier (2),  La Fièvre d' Urbicande (3) décrit une cité dont l’architecture mute de façon organique et autonome au grand dam de ses habitants. Liste non limitative … d’autant plus qu’en matière de métropoles farfelues, China Miéville n’est pas en reste.

 

The City & the City est un roman policier se déroulant dans deux villes, Besźel et Ul Qoma, qui présentent la particularité de partager le même territoire. Au début du récit, l’inspecteur Tyador Borlu découvre dans un terrain vague de Besźel, le cadavre d’une jeune femme d’origine américaine ; l’enquête révèle qu’elle travaillait sur un chantier archéologique à Ul Qoma. A la difficulté de l’investigation s’ajoute une complication de taille. Tout porte à croire que la victime et son (ou ses) agresseurs ont accompli la transgression suprême : rompre, c'est-à-dire changer de ville.

 

Le concept imaginé par China Miéville n’est certes pas entièrement novateur. Outre l'allusion aux Villes invisibles d'Italo Calvino, des villes comme Jérusalem ou Berlin abritent (ou abritèrent) des nationalités, des communautés et des patrimoines architecturaux séparés. Mais l’auteur pousse ici le degré d’intrication à un niveau vertigineux. Une même rue peut abriter des zones plénières relevant de la juridiction d’une seule cité ou tramées, communes aux deux métropoles. Passer de l’une à l’autre déclenche l’intervention instantanée de la Rupture, une police à la fois invisible et omniprésente dont les victimes disparaissent littéralement de la circulation. Aussi dès leur plus jeune âge, les habitants apprennent t’ils à éviter et à « éviser » les étrangers. Une technique d’oblitération mentale dont on retrouve trace dans « La lettre volée » de E. Allan Poe. Face à ces embûches, Tyador Borlu, héritier d’une longue dynastie littéraire de policiers tenaces et imaginatifs poursuit une enquête qui le mène de Besźel à Ul Qoma à la recherche de la mythique Orciny, « la ville entre les villes ».


Il y a de tout dans ce récit : intrigue intéressante, contexte romanesque déroutant et passionnant qui tient de Kafka autant que de Borges, univers un peu austère à la Strougatski. Cependant The City & the City reste avant tout un polar, et à l’instar de ses personnages, China Miéville garde le cap d’une continuité narrative et rationnelle propre au genre.

 

Concept un peu barge qui tient la route,  plusieurs fois primé, The City & the City est un must.

 

(1)   James Blish – Villes nomades

(2)   John Brunner – La ville est un échiquer

(3)   Schuiten et Peeters- La Fièvre d' Urbicande


NB : texte modifié et remis en forme le 23/10/2021

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