Clifford
D. Simak - Voisins d’ailleurs - Le Bélial’
Cet article, très légèrement retouché, est paru
originellement sur le site du Cafard cosmique le 05/07/2009
On remerciera doublement
Pierre-Paul Durastanti, traducteur de la majorité des textes, de nous proposer
une anthologie de short stories d’un auteur emblématique, près de la moitié
étant inédites en français ; et de nous rappeler ensuite que Clifford
Donald Simak, à l’inverse de sa production romanesque, n’a jamais cessé de
publier de bonnes nouvelles.
Au sommaire
- La Maternelle
(Kindergarten)
- Le Bidule (Contraption)
- Le Voisin (Neighbor)
- Un Van
Gogh de l'ère spatiale (The Spaceman's Van Gogh)
- La Fin des maux
(Shotgun cure)
- Le Cylindre dans le
bosquet de bouleaux (The Birch Clump Cylinder)
- La Photographie de
Marathon (The Marathon Photograph)
- La Grotte des cerfs qui
dansent (Grotto of the Dancing Deer)
- Le Puits
siffleur (The Whistling Well)
Le temps immobile
Neuf récits, dont la
production s’étale sur près de trente ans, composent Voisins d’ailleurs, avec une caractéristique
commune, une écriture incroyablement lente, la plus lente de
l’histoire de la S.F, et un éventail thématique restreint, d'une magie cependant inimitable. Les cinq premiers
textes s’apparentent à des histoires d’extra-terrestres et les quatre suivants
traitent du voyage dans le temps. En refermant
cette anthologie très homogène, seul « Le cylindre dans le bosquet de
bouleaux » me semble en retrait des autres écrits.
Dans « La
Maternelle », un homme découvre dans son champ un objet extra-terrestre,
qui à son approche pond un œuf de jade. Quelques jours plus tard il découvre
que le cancer mortel dont il souffrait a disparu. Des voisins intrigués puis
bientôt une foule venue observer l’engin reçoivent à leur tour un cadeau
conforme à leurs désirs secrets. Entre temps l’objet se met à grandir
démesurément obligeant l’armée à établir un périmètre de sécurité. Puis il
lance un appel… L’intrigue évoque ou plutôt anticipe le film Rencontres
du 3eme type. Mais la symbolique de l’œuf permet de démonter à contrario la
mécanique de la nostalgie chez Simak. Ce qui est proposé ici au personnage
principal, comme aux « élus » de la machine, est une renaissance, une
renaissance à soi-même, un remède en quelque sorte à la pathologie de la
séparation propre à la mélancolie.
Simak renouvelle le
procédé dans « Le bidule ». Johnny, adolescent et employé de ferme
maltraité par ses tuteurs trouve un réconfort auprès d’une minuscule soucoupe
volante qui converse avec lui. Cette nouvelle touchante et inédite, écho de la
fabuleuse « Soucoupe de solitude » de Théodore Sturgeon,
prouve que les objets communicants, promis pour bientôt, n’ont plus de secret
pour les auteurs de science-fiction. Plus profondément « Le bidule »
est la parfaite métaphore de l’esprit humain comme machine désirante. (1)
La nouvelle suivante, « Le voisin » illustre bien une réflexion de Jean-François Thomas : « L'Autre
(chez Simak) est rarement un agresseur ; ce n'est qu'un voisin ». La
vision politique de l’univers de l’auteur de Demain les chiens dans ce
récit ne manque pas d’humour et s’apparente au credo républicain américain
: pas d’ingérence de l’état fédéral, moins d’impôts, les E.T sont acceptés à
condition de ne pas déranger.
« Un Van Gogh de l’ère
spatiale » raconte la quête d’un peintre et de la compréhension de son
œuvre par un de ses admirateurs. Avec une intrigue réduite au minimum,
l’auteur, dans une magnifique méditation, appelle à une nouvelle forme de
connaissance qui dépasserait la science et la foi.
« La Fin des maux »
lorgne avec humour du côté de Bradbury sur le thème « Faut-il guérir
l’homme ou guérir de l’homme ? », quant au « Cylindre dans le bosquet de bouleaux » il exploite sans surprise le thème du paradoxe temporel.
L’automne fantastique des années 70
Ecartons le long mais pas
trop fastidieux exercice de style « La photographie de Marathon »
imposé par Silverberg dans une de ses anthologies. Au crépuscule de sa vie
Simak élargit sa palette. « La grotte des cerfs qui dansent »
mais aussi « Le Puits siffleur » baignent dans une tonalité
fantastique dont témoignent d’autres récits de cette époque comme « Paysage
d’Automne » paru naguère dans Fiction (2) repris dans le recueil Escarmouche. Jamais sa plume n’a paru
aussi déliée et inspirée :
« Il marchait sur la
crête, la crête qui se dressait si haut vers le ciel, si venteuse, si propre,
si ouverte, qui offrait une vue si dégagée…Il semblait que la terre elle-même,
le sol, la roche, se haussaient sur la pointe des pieds pour s’étirer, s’élever
vers les cieux. Si haut qu’en regardant vers le bas on pouvait voir le dos des
faucons qui chassaient en cercles calmes au-dessus de la vallée et de la
rivière.
Et il n’y avait pas
que l’altitude, mais aussi la sensation d’ancienneté, ainsi que l’odeur du
temps… »
D’inspiration similaire,
« Le Puits siffleur » avec son message de fraternité universel
à l’attention des créatures disparues m’a semblé supérieur à « La
grotte des cerfs qui dansent », pourtant triplement distingué et qui
constitue le scoop de cette publication. (3)
Clifford Simak, un Saint
François d’Assise du futur ?
[1] Selon Gilles Deleuze
l’inconscient est une machine à produire du désir.
[2] Fiction 221-Mai 1972
[3] Hugo 1981, Nebula 1980, Locus 1981